Archives mensuelles : août 2016

Théâtre Saint-Denis TGP – 100 ans de création en banlieue

IMG_0254Ouvrage de Michel Migette publié aux Editions PSD et Au Diable Vauvert – avec la participation d’Etienne Labrunie -.

C’est une belle idée que de parler de la naissance d’un théâtre et de son parcours sur plus d’une centaine d’années. Au cœur du 9-3, le Théâtre Gérard Philipe est né de la volonté politique locale. L’ouvrage offre une traversée de la vie théâtrale et de l’histoire des politiques culturelles, exemplaire.

C’était au temps… dirait Brel, du théâtre populaire originel tel que vu et pratiqué par Jean Vilar et sa troupe dans laquelle Gérard Philipe fut adulé : « Le théâtre est une nourriture aussi indispensable à la vie que le pain et le vin » déclarait Vilar. C’était au temps… où la volonté politique des maires avait valeur d’engagement pour un théâtre de service public dans un contexte de décentralisation théâtrale. C’était au temps… où idéalistes et utopistes communistes mêlaient art, culture, politique et progrès social.

Comme dans d’autres villes rouges du département de Seine-Saint-Denis – Aubervilliers, Bobigny, Gennevilliers, Montreuil etc… – Saint-Denis la militante a œuvré pour sa population ouvrière. La ville détient la célèbre Basilique-nécropole des rois de France et comme ailleurs le théâtre liturgique s’y déroulait dans les églises et monastères. Le premier théâtre y fut installé à la Révolution dans l’église des Trois Patrons, construite au Moyen-Âge. Fin XIXème la ville s’inscrivait dans le réseau des Théâtres du Peuple. Début XXème elle recevait la grande Sarah Bernhardt puis les tournées Charles Dullin ainsi que Firmin Gémier et son TNP nouvellement fondé. Elle reconnaissait à la périphérie de Paris le droit au théâtre et décida, à compter de 1897, de construire une salle municipale qui fut inaugurée le 9 février 1902 – signée de l’architecte Albert Richter – et qui eut aussi pour fonction, à partir de 1905 avec les débuts du cinématographe, d’être salle de projection.

A certains moments et traversant les deux guerres, cette salle servit au politique et devint le lieu des revendications sociales plutôt que celui de l’affirmation artistique. Dans l’après-guerre et avec le mouvement de l’éducation populaire et l’émergence d’une volonté politique, elle fut relancée comme théâtre. Jean Vilar, inscrivit dans son cahier des charges du TNP la présentation de spectacles dans les banlieues ouvrières et y joua en 1951-52 L’Avare et La Mort de Danton. Tous ces signaux persuadèrent le Maire, Auguste Gillot, poussé par son adjoint René Benhamou amoureux de culture qui le travailla au corps, de prendre en compte dans son programme l’art et la culture. Il  passa à l’acte à partir de 1953 et nomma quelques années plus tard, en 1959, Jacques Roussillon à la tête du Théâtre de Saint-Denis.

La grande aventure théâtrale commence alors vraiment. Roussillon dirige le Théâtre de Saint-Denis, baptisé Gérard Philipe le 29 janvier 1960, – en hommage au grand acteur disparu deux mois auparavant – et transforme la salle municipale en un lieu de création reconnue et bientôt incontournable. Son modèle est le Berliner Ensemble, Aragon-Triolet ses inspirateurs. Il monte Brecht, Lorca et Gorki entre autre, crée un ciné-club, accueille les chanteurs les plus engagés – Ferrat, Nougaro, Brel, Ferré – y fait un énorme travail. La création de Printemps 71 d’Arthur Adamov, véritable acte fondateur, fait date, et donne au Théâtre une autre dimension à travers laquelle la nécessité de modernisation se fait sentir. Roussillon engage José Valverde comme chef de plateau. Ce dernier monte Gorki, Hasek et Toller et lui souffle la place, en 1965, alors que change le directeur des affaires culturelles de la ville.

La période Valverde – 1966/1975 – est marquée par une programmation théâtrale plus engagée : « Pour moi, la démarche politique et la démarche artistique ont toujours été absolument parallèles. » Valverde propose des pièces contemporaines : V comme Vietnam, d’Armand Gatti ou La Guerre des paysans inspirée de Kleist, invite Antoine Vitez avec Les Bains de Maïakovski, pièce montée à la Maison de la Culture de Caen, crée une troupe permanente en 1967. Il invite en 1968 le Piccolo Teatro de Milan qui a déjà présenté les pièces de Brecht, Goldoni, Tchekhov et Shakespeare, un Piccolo qui devient sa nouvelle référence, traverse mai 68 et obtient le financement pour un vaste chantier de transformation du théâtre qui ré-ouvre le 1er mars 1969 et acquiert vite un grand succès populaire. Il invite le Berliner Ensemble, présente ses mises en scène d’un théâtre militant comme Libérez Angela Davis tout de suite en 1971 et Chile Vencera en 1974. Face aux difficultés financières et au silence des pouvoirs publics, la troupe se met en grève et Valverde se voit contraint de démissionner, en 1975.

C’est René Gonzalez qui est nommé à la tête du TGP pour la décennie suivante et en fera un phare de la création théâtrale – 1975/1985 – laissant la place aux artistes, avant de devenir directeur de la MC93, puis du Théâtre Vidy de Lausanne jusqu’en 2012, date de sa disparition. La ville de Saint-Denis vit sa révolution culturelle avec de nouveaux équipements et une nouvelle approche esthétique. Jack Lang comme ministre de la Culture y contribue largement. Théâtre, spectacles lyriques, danse, spectacles jeune public s’y succèdent. Peines de cœur d’une chatte anglaise monté par Alfredo Arias à partir d’une adaptation de Balzac y fait date, en 1977. Le TGP joue la carte de l’ouverture vers l’extérieur et du pluralisme créatif, une décennie très riche au cours de laquelle se sont succédés les plus grands metteurs en scène, de Jacques Lassalle à Joël Jouanneau, d’André Engel à Gildas Bourdet, de Jean Jourdheuil à Jérôme Deschamps-Macha Makeëff. L’ouverture en 1978 de la seconde salle, appelée salle Jean-Marie Serreau – du nom du metteur en scène disparu en 1973 – donne un nouvel outil, une nouvelle dynamique à l’ensemble.

Après le départ de René Gonzalez, les directeurs sont ensuite désignés à la tête du désormais Centre Dramatique National – CDN -. S’y succèdent Daniel Mesguich de 1986 à 1988, Jean-Claude Fall de 1989 à 1997, Stanislas Nordey et Valérie Lang de 1997 à 2001, Alain Ollivier de 2002 à 2007, Christophe Rauck de 2008 à 2013. Jean Bellorini le dirige depuis 2014. Chacun à sa manière laisse son empreinte. Le livre de Michel Migette raconte et met en relief la contribution de chacun, ses mises en scène, les troupes accueillies, sa philosophie pour la construction de l’ensemble, ses coopérations : création du ciné-club dès 1959 suivi du Temps de l’Ecran qui évoluera jusqu‘en 1991, date à laquelle une salle, l’Ecran, s’installe en centre ville, la musique avec un premier Festival en 1969 qui s’ancre ensuite aussi dans la ville, l’ouverture du Terrier, en 1970, plateforme pour musiciens et chanteurs, jeunes ou confirmés, le Centre dramatique national pour l’enfance et la jeunesse de Daniel Bazilier, installé salle Jean-Marie Serreau de 1979 à 1985, les Etats Généraux de la Culture de Jack Ralite, lieu du débat, en 1987, Africolor en 1989, Enfantillages en 1990, et l’ouverture de la salle Mehmet Ulusoy en 2009.

Théâtre Saint-Denis – TGP, 100 ans de création en banlieue est un ouvrage bien documenté qui travaille sur la chronologie et utilise en marge, en exergue, le principe de portraits des artistes et des politiques qui en ont fait la vie, ce qui donne une bonne lisibilité générale, ainsi que des pages pleins feux sur… comme page 36 : Un souffleur de conscience. Jack Ralite son complice, évoque l’apport et l’actualité de Jean Vilar : « Être vilarien, c’est avoir une parole et la respecter quand on la donne, c’est refuser le chemin du milieu. C’est avoir l’insolence de l’esprit mêlée à une tendresse cachée… Jean Vilar était pour le principe de l’audace et ne s’enfermait pas dans le principe de précaution… C’est une luciole qui brille toujours » dit Ralite ; page 52 sur Gérard Philipe, qui a marqué l’histoire de la création en France et qui comédien d’exception fut un homme de son temps ; page 70, un témoignage de Lucien Marest, secrétaire du Comité d’Entreprise de Rhône-Poulenc, sur le thème Politique et Culture ; ou encore page 262 Jack Ralite, le metteur en actes.

L’ouvrage s’achève sur la table ronde animée par Bernard Vasseur, philosophe, qui s’est tenue au TGP Saint-Denis le 3 septembre 2015 sur le thème Théâtre et volonté politique. L’actuel directeur, Jean Bellorini – qui depuis son arrivée a notamment présenté ses mises en scène de Paroles gelées d’après Rabelais, Liliom de Ferenc Molnar, La Bonne Âme de Se-Tchouan de Brecht et Tempête sous un crâne d’après Les Misérables de Victor Hugo – y prenant la parole, disait : « Je crois que le théâtre est là pour combattre les dérives et les facilités de notre société. C’est un art qui appartient à tous. L’homme a besoin de mythes, de récits pour se réapproprier sa propre langue et par conséquent sa propre vie. Il a besoin de retirer son masque social pour se donner à voir tel qu’il est… Le théâtre n’est pas fait pour les forts, pour les riches, pour les puissants. Il réhabilite la fragilité. »

La volonté des maires dans cette ville complexe de Saint-Denis, le choix d’artistes engagés permettant des textes ambitieux et des esthétiques nouvelles, sont la signature du TGP Saint-Denis dont le parcours est un défi et une utopie permanente. Dans le cercle des Centres dramatiques nationaux depuis plus de trente ans, la vigilance de son actuel Maire, Didier Paillard reste de mise. Pour lui le théâtre est le lieu de l’invention démocratique et la production artistique est au travail, le champ éducatif y reste déterminant, le public y tient le premier rôle.

Brigitte Rémer, 28 août 2016

Préface de Jean-Pierre Léonardini : C’est vent debout qu’on avance, Postface de Didier Paillard, maire de Saint-Denis : Notre théâtre pour demain – Album quadri cousu-relié – Format 240 x 300 mm – 364 pages – 30 euros.

Prochaines rencontres autour de l’ouvrage : – 9 au 11 septembre 2016, Fête de l’Humanité, Parc de La Courneuve, Stand de Saint-Denis, Espace Livre, avec Jean-Pierre Léonardini. –  17 et 18 septembre, Journées du Patrimoine, Office du Tourisme Plaine Commune, 1 rue de la République, Saint-Denis – 24 septembre, Médiathèque Centre ville, 4 Place de la Légion d’Honneur, Saint-Denis – 15 octobre à 18h, Théâtre Gérard Philipe salle Mehmet Ulusoy, Présentation aux habitants de Saint-Denis avec Jean Bellorini, Patrick Braouezec, Didier Paillard et Jack Ralite.

 

 

 

 

Naïssam Jalal et son groupe Rhythms of Resistance

© Paul Evrard

© Paul Evrard

Avec Mahdi Chaïb saxo ténor et soprano, percussions – Karsten Hochapfel guitare et violoncelle – Matyas Szandai contrebasse – Arnaud Dolmen batterie percussions. Concert donné dans le cadre de Paris Quartier d’été.

Née à Paris de parents syriens, Naïssam Jalal est une magnifique flûtiste formée au classique et qui connaît tout autant le nay – cette flûte de roseau moyen orientale – pour l’avoir travaillé à Damas. Ses compositions font voyager entre l’orient et l’occident. Les mots qu’elle énonce ce soir-là sont à l’adresse du peuple de Syrie, le tragique habite le plateau. Elle fait figure d’une Antigone dans sa simplicité et sa fierté, dans son engagement.

Entourée du quintette qu’elle a fondé en 2011 avec des musiciens venant de différents pays, son inspiration est métisse et son style éclectique. Elle traverse la world music autant que le jazz et le rap, passant par le tango ou l’afrobeat. « Ma musique est unique et singulière d’abord parce qu’elle est l’expression de ma singularité propre : femme, musicienne, syrienne et française, arabe et européenne, à la fois nomade et sédentaire, à la recherche des traditions et de l’inconnu… » Elle a exploré les ressources musicales du Liban et de l’Egypte et travaillé avec les grands maîtres dont Abdo Dagher au Caire, virtuose du violon. Elle a accompagné le rappeur libanais Rayess Bek en France, au Liban et au Maroc et se produit souvent en tournée avec le joueur égyptien de oud, Hazem Chahine. Son premier album Aux Résistances est sorti en 2009, elle vient de composer les huit thèmes de son nouvel album, intitulé Osloob HayatiMa façon de vivre – où se retrouve la même diversité des registres. Elle tourne aussi dans le monde avec son duo Noun Ya.

Au cours des six soirées données dans le cadre de Paris Quartier d’été, Naïssam Jalal présente un invité et dialogue musicalement avec lui. Ce soir-là, ils sont deux : Médéric Collignon qui joue de tous les cornets et bugles en jazz et musiques improvisées, et le rappeur et producteur palestinien Osloob, fondateur du groupe Katibeh 5 que Rhythms of résistance accompagne en une alchimie musicale singulière.

Autour du Kiosque à musique dans le jardin du Luxembourg le public est nombreux, assis au sol ou sur des chaises, debout aussi, silencieux et attentif. Il porte, par sa qualité d’écoute, Naïssam Jalal et sa belle équipe. La magie opère, des solos aux ensembles, les arpèges s’envolent ou se déstructurent, et parfois la flûte pleure.

Brigitte Rémer, 5 août 2016 – Jardin du Luxembourg

27 juillet Square des Amandiers (75020) – 29 juillet Musée du Quai Branly (75007) – 31 juillet Parc de la Butte du Chapeau Rouge (75019) – 2 août Jardin des Tuileries 75001) – 5 août Jardin du Luxembourg (75006) – 6 août Jardin de la Folie Titon (75011)

 

Face Nord

© Milan Szypura

© Milan Szypura

Spectacle présenté dans le cadre de Paris Quartier d’été. Mise en scène Compagnie Un loup pour l’homme et Pierre Deaux – Acrobates : Alexandre Fray, Mika Lafforgue, Arno Ferrera et Alexandre Denis.

Aussi virtuoses que des alpinistes escaladant la Face Nord des Grandes Jorasses, ils occupent le petit espace carré recouvert de tatamis au centre de la belle cour intérieure du Centre culturel irlandais. Les spectateurs les entourent sur quatre côtés, intégrés dans la scénographie. Ce soir-là la pluie s’est invitée et les tatamis sont protégés. Il est remis aux spectateurs un imper de type cycliste dans lequel ils s’enroulent en attendant la fin de l’averse.

Pas de texte, le travail est physique, énergétique et les figures créées s’apparentent – impressions de départ – aux gladiateurs et jeux du cirque, à l’arène, il n’en est rien. Tout est plus subtil. La concentration est maximale, le jeu des regards donnent les tops du départ et lève les énergies. Quatre hommes, virils et plein de grâce, d’une attention et précision inouïes, construisent des histoires et figures à couper le souffle à partir d’un travail de main-à-main. Nous sommes plus près de la chorégraphie ou du jeu d’enfants avec sa poétique et son sens de l’illusion, que du sport. Ils sont partout : devant, derrière, en haut, en dessous, avec la fluidité et la rapidité des lynx.

L’écriture scénique donne un cadre d’une grande précision qui sert de garde-fous, et les acrobates-acteurs restent en état de veille sur ce qui peut advenir, sur l’inattendu. Ils trouvent les points névralgiques pour ne pas se faire mal en s’escaladant, marchant, courant, sautant, tombant, se déséquilibrant, s’attrapant, se portant, selon le poids et la force de chacun, son rôle au sein du collectif, sa personnalité. Ils étaient au départ deux acrobates : le porteur français Alexandre Fray et le voltigeur québécois Frédéric Arsenault, rejoints par le puissant Mika Lafforgue et la voltige d’Alexandre Denis. Appris par corps, fut la première pièce présentée par la compagnie en 2005 et jouée plus de deux cents fois dans le monde, suivie en 2006 de Grand-mère, qui questionnait la pratique de porteur au contact de personnes âgées.

Créé en 2011, Face Nord tourne depuis cinq ans et treize ou quatorze personnes l’ont porté, à la recherche des limites. Quatre acrobates jouent avec les figures masculines imposées que sont la compétition, la puissance, la violence et la combativité, mais de ce quatuor se dégage une grande délicatesse et de la douceur ; c’est virtuose et toujours aux frontières, soutenu par la musique qui à certains moments les porte – entre Schubert et Mahler – avec la même force.

« Notre cirque : un art d’action vers la recherche d’humanité » tel est leur manifeste. Ils oscillent entre force et fragilité, grandeur et faiblesse, repoussant leurs limites, partent de l’intuitif et de l’instinctif pour construire sur un mode très élaboré le sens du spectacle. L’engagement physique et la virtuosité acrobatique, l’émotion et le sensible, le sens de l’humour et celui de la tragédie, la construction dramaturgique, font de cette Face Nord un magnifique moment d’humanité.

Reinhold Messner homme de la haute montagne leur sert de guide : « On part ensemble vers des lieux sauvages. Tant pis si l’autre fait demi tour ensuite. Ce qui est important c’est l’expérience partagée, et non le fait de continuer ensemble. Pour atteindre le sommet à partir du dernier camp, il ne faut que quelques heures, et quelques heures pour en revenir, cela peut très bien s’effectuer seul. Mais partir seul de tout en bas, c’est une autre affaire. Soudain, l’autre vous manque. Quelqu’un sur qui l’on puisse compter, avec qui l’on puisse partager la peur et le bonheur, quelqu’un qui, comme soi même, ait besoin de l’autre. »

Avec Un loup pour l’homme, c’est une histoire d’hommes qui s’écrit, une histoire d’art et de fraternité.

Brigitte Rémer, 4 août 2016

Dramaturgie Bauke Lievens – Création sonore : Jean-Damien Ratel – Costumes : Emmanuelle Grobet – Équipe technique : Pierre-Jean Faggiani, Laurent Mulowski.

Du 2 au 6 août 2016, à 20h – Centre culturel irlandais 5 rue des Irlandais. 75005. Métro : Place Monge ou Cardinal Lemoine. Site : www.quartierdete.com